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Un monument ça se mérite. Pour celui-là pas d’ascenseur pour s’en approcher. Et pour toucher leurs pieds il ne faudra pas chômer. Les Aiguilles d’Arves vous feront oublier la tour Eiffel (au moins pour quelques instants).
Depuis le temps que je vous parle des Aiguilles d’Arves, je suis certaine que vous ne désirez rien tant que de les approcher, de parvenir à leurs pieds, de les regarder vous toiser du haut de leurs quelques 3000 mètres d’altitude. Comme moi, sans doute, vous ne les quitterez pas des yeux. Bien sûr, vous ne parviendrez pas au sommet de l’une d’elles. Gros Jean, Jean Jean et Petit Jean, comme on les appelle ici, ne se laissent vaincre que par des alpinistes. Elles ont même repoussé le grand Whymper, qui en avait fait, en 1864, selon ses termes, « l’objet spécial de [ses] investigations », mais que ses guides avaient convaincu qu’elles étaient inaccessibles. C’était oublier, soit dit en passant, que des chasseurs de chamois, les frères Magnin de Tigny, hameau de Valloire, avaient déjà atteint le sommet dans la passion de leur chasse, sans même s’en rendre compte.
Car la montagne, ça se mérite. Pas question de prendre l’ascenseur ou de se laisser porter par des télésièges confortables. Contempler un panorama inoubliable, rapporter de ces vacances d’hiver des photographies que l’on s’empressera d’encadrer pour faire entrer dans l’appartement le bon air de la montagne, cela demande des efforts, payés en retour je vous le garantis. Les Aiguilles vous feront oublier la Tour Eiffel. Avec des gourdes bien pleines, un peu de thé ou de génépi dans le sac d’Azize, des bâtons, des raquettes, un appareil photo, et un peu d’enthousiasme et de courage, vous avancerez loin dans cet univers blanc dominé par les cimes dont la silhouette altière n’a pas quitté votre esprit depuis que vous les avez aperçues au loin ou que vous avez contemplé les photos de Bernard Grange.
Et dire que les Valloirins d’autrefois, opiniâtrement accrochés à leur terre, ne se sont jamais approchés, comme nous le faisons aujourd’hui sous la conduite du guide, des Aiguilles en hiver. Ils n’avaient tout simplement rien à faire à cette altitude à partir du moment où la neige recouvrait la bonne herbe que les animaux étaient venus brouter en été. Vers le 15 octobre, ils redescendaient au hameau permanent où ils restaient confinés avec les bêtes pendant toute la durée de la morte saison. Les chalets du hameau des Aiguilles étaient alors abandonnés, et le silence et la solitude tombaient sur eux.
Depuis que le tourisme a remplacé l’agropastoralisme, ils sont restés inoccupés. Privés de leur fonction initiale, ils étaient condamnés à une mort lente. Détruits par des incendies, ou simplement trop anciens et pas assez solides, certains sont tombés en ruine. Comme au Crey Rond, la neige a été, provisoirement jusque dans les années 50, et définitivement passée cette date, leur linceul. Mais de même que l’été les rendait autrefois à la vie, il nous appartient, à nous, randonneurs d’aujourd’hui venus contempler les Aiguilles, de les faire revivre par notre émerveillement, nos conversations et nos éclats de rire. Cet habitat temporaire d’autrefois conserve un charme intact et témoigne d’un mode de vie très longtemps pratiqué mais aujourd’hui disparu, à l’origine du riche patrimoine de la vallée. Alors, plus d’hésitation : un bon bol d’air, un paysage splendide et des descentes endiablées vous attendent.